Acualités Groupe SOS

ACTUALITÉS

​​Lutter contre les violences sexuelles en temps de guerre : rencontre avec Céline Bardet​ 

7 mars 2025 • ACTUALITÉS

Rencontre avec Céline Bardet, juriste et enquêtrice criminelle internationale, spécialisée sur les crimes de guerre et crimes internationaux, la justice post-conflit et les questions de sécurité. Depuis presque 20 ans, elle a travaillé dans plus de 80 pays, appelée par des organisations prestigieuses comme l’Union Européenne, INTERPOL ou encore l’ONU, à fournir son expertise sur les questions de justice et de sécurité. Témoin de la montée de l’utilisation du viol de guerre et de son usage systématique dans les zones de conflits, de l’impunité, du manque de réponses adéquates sur place et du peu de services accessibles aux survivants en détresse, elle décide de créer l’ONG We Are NOT Weapons of War (WWoW) en 2014. 

We Are NOT Weapons of War (WWoW) se consacre à la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits au niveau mondial via des approches juridiques innovantes et créatives en proposant une réponse globale, holistique et efficace à l’usage endémique du viol dans les environnements fragiles. WWoW a développé un site mobile sécurisé Back Up qui permet aux survivant·e·s de pouvoir se signaler et facilite leur accès aux services médicaux, psycho sociaux et juridiques. L’outil permet aussi la transmission et la sauvegarde de documents et éléments de preuve par toute personne, dans le monde entier pour accélérer les processus de justice et la lutte contre l’impunité. WWoW développe aussi un plaidoyer mondial sur la question des violences sexuelles dans les conflits et accompagne la « vie d’après » des survivantes. 

Comment mobilisez-vous les communautés internationales et locales pour lutter contre les violences sexuelles en temps de guerre ? 

 

WWoW mobilise contre les violences sexuelles en temps de guerre via un plaidoyer auprès des institutions internationales comme l’ONU et l’UE pour influencer les politiques publiques. En France, l’ONG collabore avec le gouvernement, le ministère des Affaires étrangères et des instances comme l’Assemblée nationale et le Haut Conseil à l’Égalité. Elle contribue également à des documents stratégiques tels que la Diplomatie féministe et la stratégie humanitaire nationale. À l’échelle internationale, WWoW apporte son expertise aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et à la Commission de la condition de la femme. Notre ONG coopère avec le bureau de la représentante spéciale de l’ONU sur les violences sexuelles en conflit. Localement, on agit avec des activistes et des organisations de la société civile.

Comment l’évolution des conflits modernes affecte -t- elle l’application du droit international humanitaire (DIH) ?

L’application du droit international humanitaire (DIH) est influencée non seulement par l’évolution des conflits modernes mais aussi par les transformations sociétales.

Bien que les conflits semblent plus nombreux aujourd’hui, c’est surtout la diffusion massive de l’information, notamment via Internet et les réseaux sociaux, qui les rend plus visibles.

Historiquement renforcé après la Seconde Guerre mondiale pour protéger les civils, le DIH fait face à de nouveaux défis. Les conflits contemporains sont souvent internes ou transfrontaliers, comme au Sahel, en RDC ou en Birmanie, et impliquent aussi bien des États que des groupes non étatiques. La multiplication des crises humanitaires, notamment liées au climat, accentue ces violences.

L’essor des technologies permet une meilleure documentation des crimes de guerre grâce aux images capturées par les civils, bien que l’authentification reste un enjeu clé. L’urbanisation des conflits complexifie l’identification des combattants et des civils, rendant l’application du DIH plus difficile. Cependant, depuis les années 1990, la création de tribunaux pénaux internationaux et de la Cour pénale internationale en 2002 marque une avancée contre l’impunité.

Enfin, la désinformation, amplifiée par les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle, complique la vérification des faits et accentue la guerre de propagande, ajoutant un défi supplémentaire à la mise en œuvre du DIH.

Quels sont les obstacles pour la collecte de preuves pour les crimes de guerre ?

La collecte de preuves pour les crimes de guerre fait face à plusieurs obstacles, notamment selon le type d’exaction. Les violences sexuelles sont parmi les plus difficiles à prouver en raison du manque de preuves matérielles et du retard d’accès des victimes aux soins médicaux.

L’un des principaux défis est l’accès aux zones de conflit, bien que la documentation des crimes ait progressé grâce aux téléphones, aux journalistes et aux vidéos. Cependant, une image ou une vidéo ne constitue une preuve que si elle est authentifiée : il faut établir son origine, vérifier qu’elle n’a pas été altérée et la replacer dans son contexte en croisant plusieurs sources.

Les témoignages directs sont cruciaux mais doivent être corroborés par d’autres éléments pour être recevables. Les témoignages indirects, bien qu’utiles, ne sont considérés comme preuves que s’ils sont confirmés par des sources directes ou des éléments matériels.

Hors collecte de preuves, quels sont les obstacles majeurs à la poursuite des auteurs de crimes de guerre au niveau international ?

L’un des principaux obstacles à la poursuite des crimes de guerre est l’identification des auteurs. Même si un crime est prouvé, il faut établir la responsabilité directe des individus impliqués. Une fois identifiés, leur arrestation pose un défi, car la Cour pénale internationale (CPI) et INTERPOL ne disposent pas de forces de police exécutives, dépendant des polices nationales pour l’exécution des mandats d’arrêt.

Un autre obstacle majeur est la volonté politique. L’arrestation des responsables, notamment des hauts gradés ou chefs d’État, repose sur la coopération des États concernés et des membres de la CPI. Le cas de Poutine ou Netanyahu illustre cette dimension hautement politique, où les intérêts géostratégiques et économiques influencent l’application de la justice internationale.

Quel rôle les technologies (comme les applications mobiles ou les bases de données) jouent- elles dans la documentation des crimes de guerre ?

L’évolution des conflits et des technologies offre de nouvelles opportunités pour protéger les victimes et documenter les crimes de guerre. Pionnière en la matière, j’ai développé BackUp, un outil permettant aux survivant·es de se signaler, de sécuriser leurs preuves et témoignages, et de bénéficier d’une prise en charge sans se mettre en danger.

Disponible dans les langues locales, BackUp est déployé progressivement via des partenaires de terrain, incluant d’anciennes victimes devenues accompagnatrices. Il aide ainsi les survivant·es à se reconstruire et à devenir des repères pour d’autres.

BackUp sert aussi à l’information : les utilisateurs peuvent soit signaler un crime, soit accéder à des ressources sur leurs droits, la préservation des preuves et les services d’aide disponibles.

Enfin, une version avancée est en développement pour les activistes et organisations. Grâce à l’intelligence artificielle et la blockchain, elle garantit l’intégrité des données et croise les témoignages avec d’autres sources publiques pour renforcer la documentation des crimes.

Quelles sont les prochaines étapes pour que le droit international protège vraiment les femmes ?

Le véritable enjeu n’est plus tant le développement du droit international, déjà bien établi, mais un changement profond des mentalités sur les droits des femmes, leur place dans la société et l’égalité des genres. Il reste encore un long combat pour faire reconnaître la violence sexuelle comme un crime de masse, que ce soit en temps de paix ou de conflit.

 

 

L’urgence aujourd’hui est que les États et les bailleurs de fonds soutiennent financièrement les ONG comme la mienne, qui malgré leur taille modeste, ont un impact mondial. Les ressources doivent être à la hauteur des besoins et du travail accompli.

Il est également crucial de repenser les politiques de financement du développement, qui privilégient souvent de grandes ONG aux pratiques figées. Il est temps d’investir dans des acteurs plus petits, plus agiles et plus efficaces pour répondre aux enjeux actuels.

Depuis 40 ans, le Groupe SOS accueille, héberge et accompagne des milliers de femmes vulnérables au sein de ses établissements sociaux et médico-sociaux, et est un acteur majeur de l’Asile et Intégration en France. Au quotidien, les professionnel·les accompagnent au mieux ces femmes, particulièrement exposées aux violences. Comprendre les violences que ces femmes ont subi depuis le pays d’origine, sur le chemin de l’exil et jusque dans le pays d’accueil, est indispensable pour pouvoir leur proposer un accompagnement adapté. 

Dans un livre-blanc co-construit avec les associations Stand Speak Rise Up, Ikambere, Fight for Dignity, Gela, Maisons des Femmes Restart, Russie Libertés et Solidarités international, et Le Groupe SOS porte 21 propositions concrètes pour mieux accompagner et protéger les femmes en exil. 

Découvrir le livre blanc 

A lire également

8 juillet 2025

Wimoov : La mobilité pour toutes et tous, un combat du quotidien 

Lire la suite

1 juillet 2025

De 7 jours à 7 mois en 40 ans : faisons cesser l’inutile augmentation de la durée de rétention

Lire la suite

26 juin 2025

Les jeunes au cœur de l’action climatique européenne : retour sur le Training of Trainers CLIMentines à Bologne

Financé par le programme Erasmus+, le projet The CLIMentines – Empowered Youth for Climate Action porté par Groupe SOS Solidarités…

Lire la suite

Inscrivez-vous à notre newsletter !

Témoignages, initiatives, événements…
Toute l’actualité du Groupe SOS dans votre boîte e-mail.

Les champs marqués par (*) sont obligatoires. Votre adresse de messagerie est uniquement utilisée pour vous envoyer les lettres d’information sur notre activité. Vous pouvez à tout moment utiliser le lien de désabonnement intégré dans la newsletter. Pour en savoir plus sur vos droits, veuillez consulter la charte de protection des données personnelles.